CRITIQUE DE TAHITI 80 "BALLROOM" PAR INDIE MUSIC
Tahiti 80 - Ballroom
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Tahiti 80 - Ballroom
Raphaël Duprez - INDIE MUSIC
Notre affection pour Tahiti 80 commence un soir de 1997. Lors de la diffusion d’une émission de radio bien connue des amateurs de musique indépendante, le maître de cérémonie propose un extrait de leur premier EP, « Twenty Minutes » ; un concentré de pop proche de la scène anglaise mais avec ce petit quelque chose de plus, cette saveur dans les mélodies que des groupes comme, entre autres, Ozark Henry à ses débuts, ont peaufiné pendant de longues heures de brainstorming intensif. Au-delà de la surprise, le titre réconcilie l’auditeur avec un genre en pleine déliquescence, mêlant les guitares rythmiques avec des ambiances plus décontractées et des refrains enchanteurs plutôt que fédérateurs. Malheureusement, la France est cruelle avec les nouveaux groupes. Silence radio sur les ondes pour la formation qui, loin de désespérer, réussira une carrière exemplaire à l’étranger, irriguant les courants radiophoniques et les planches de scènes stroboscopiques de leurs chansons allant de la power pop à une délicatesse plus funk ou soul. Quatre ans après leur formidable « The Past, The Present & The Possible », disque en forme d’hommage à ces années d’euphorie méritée et passage obligé entre ce qui a vécu et ce qui deviendra, Tahiti 80 impose avec une efficacité hors du commun leur nouvel effort, le bien-nommé « Ballroom ».
Rarement un disque aura été autant parcouru par les flashs et les ombres de la pureté esthétique et musicale. Balançant à corps perdu les arrangements électroniques discrets mais merveilleusement aguicheurs (Roberr), le groupe diffuse ses entrelacs pop et disco, tout en tempérant les effets afin de ne garder que l’essence des styles susnommés. Aller à l’essentiel : tel est le credo appliqué aux chansons qui nous sont généreusement données, du moins en préambule de la bienfaisante claque que l’on prend en pleine figure alors qu’on la supposait être une caresse. Lançant les hostilités avec le fulgurant « Crush ! » et laissant la porte ouverte à un potentiel raz-de-marée post-70’s, les musiciens apaisent abruptement et immédiatement (Love by Numbers) pour mieux nous prendre dans leurs filets. On traverse alors les plages ensoleillées que Brian Wilson a foulées (T.D.K, Seven Seas), les dunes de sables mouvants et onctueux (The God of the Horizon) avant de forcer le pas, d’être entraînés dans une sarabande virevoltante et radicalement addictive (Coldest Summer, Missing). « Ballroom » nous prend par la taille et nous amène au centre de la piste, provoque une fièvre qui se doit d’exulter en urgence.
Car ce que l’album tient avant tout à démontrer, c’est que le dancefloor n’a jamais autant été lui-même que quand les plus pures émotions y trouvent leur exutoire. Les voix revêtent des atours d’effets discrets mais sublimes (l’inoubliable « Back 4 More », apothéose d’un ensemble déjà magnifiquement homogène), invitant, tel le DJ d’une improbable soirée colorée et pixellisée, chaque individu, quel qu’il soit, à libérer sa sensualité sous des boules à facettes et sur des dalles lumineuses rarement contemplées depuis presque 40 ans. Tahiti 80 ferme les accès, enlace et provoque, débarrasse les tabourets de bar de leurs occupants pour obliger chacun à se retrouver, à suer sous de larges et rafraîchissants ventilateurs, alors que de doux fumigènes envoûtent une ambiance déjà sensible et profonde. Les corps se transforment, se confondent, ne font qu’un sur un sol moelleux et accueillant, sous des spotlights aux tons bleutés, jaunes et orangés. Ce qui est en général une exception réservée aux soirées de fin de semaine devient une drogue de chaque jour ; simplement, il convient de prendre « Ballroom » pour ce qu’il est vraiment, une invitation à la danse et à l’expression la plus délicate de la libido, au fantasme de costumes près du corps et de robes à paillettes. Mais les gestes demeurent sobres, respectueux, frôlant les contours de visages et de hanches qui ne cessent de se mouvoir, jusqu’au petit matin.
Tahiti 80 a mis quatre ans avant de nous faire partager « Ballroom » ; on se donne donc quatre ans pour s’en remettre. Et pour cesser nos mouvements lascifs à son écoute.